Jordan Rudess

 

ANALYSE DE STYLE

 

BIOGRAPHIE THEMATIQUE -- CHRONIQUES -- ANALYSE DE STYLE
Par Fabien Labonde

 

 
Les Leads
Jordan utilise pour ses leads tout ce qui est à la portée des claviéristes actuels. Arpèges, gammes, portamento, variations de hauteur de 1/2 ton (molette de pitch) à plusieurs octaves (grâce au ruban comme dans "The Glass Prison" à 5'51), vibrato (plus souvent activé par la molette de pitch que par la pression des doigts sur le clavier), trilles...
Pour notre plus grand plaisir, il passe du solo lent au plus rapide balayant les 88 touches lestées de son clavier sur quatre gammes principales :
- la gamme mineure (très présente à chaque concert dans son solo, mais aussi dans "Endless Sacrifice" - intro, "Kindred Spirits", "Fatal Tragedy", "The Glass Prison", "Blind Faith", "Panic Attack" et la plupart des leads de l'album Feeding The Wheel...),
- la gamme pentatonique mineure et blues ("The Stretch", "Universal Mind", "Beyond This Life"),
- la gamme phrygienne majeure (presque tous les leads de Train Of Thought mais aussi "Freedom of Speech", "Home", "The Test That Stumped Them All"). Cette gamme aux inflexions orientales avait déjà été utilisée par Kevin Moore dans "Bombay Vindaloo" et "The Ytse Jam",

- la gamme majeure (moins fréquente : "Overture 1928" et "Solitary Shell"). Je mentionnerai pour finir le solo de "Three Minute Warning" (à 5'35) qui démarre en majeur et finit en mineur.

Et pour illustrer ce charabia, voici quatre transcriptions de solos plus ou moins récents.


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Transcription : "About To Crash Reprise"


Un lead en mineur principalement fondé sur des gammes et arpèges. Tout cela sonne comme du Rick Wakeman, non ? On notera l'utilisation d'une note répétée au pouce dans la deuxième mesure (mi, puis déplacement vers le la).



Un festival de Moog de près d'une minute se cache dans ce morceau de Train Of Thought : d'abord en solo sur mi b et fa #, puis en un contrepoint qui s'échappe vers la et do ... en voici un extrait, aisément transposable.



Ce morceau est issu de l'album Listen. Malgré un son très pop hollywoodienne, chaque chanson (oui, Jordan chante aussi) de cet album cache un bijou de partie instrumentale et s'écoute au casque avec délectation. Le solo de "Feel The Magic" est en mineur également, mais avec uniquement des notes conjointes (qui se suivent) dans les quatre premières mesures et des écartements de doigts un peu plus délicats par la suite. Le solo s'achève sur une séquence de doubles croches. Il est repris une seconde fois, harmonisé à la quinte avec un autre son.


La déferlante en gamme majeure phrygienne ... à voir en concert jouée simultanément par John Petrucci.


Un dernier point sur les bends... Aux deux types majoritairement utilisés - celui qui vise une note ("The Glass Prison" à 10'13 : il joue un ré et l'élève d'un ton pour obtenir un mi) et celui qui vise plus loin (et qui consiste à élever ou baisser la hauteur de la note, peu importe jusqu'où... même chanson à 10'44) - Jordan ajoute le double bend (comme dans "Quantum Soup" à 4'15 et "Crossing Over" à 1'59) où il s'agit de superposer deux bends d'amplitude inégale afin d'intensifier le mouvement dans un solo.


Le Piano

Kevin Moore et Derek Sherinian ont prouvé leurs grandes qualités expressives sur cet instrument avec Dream Theater (et également hors de DT !). Quand on utilise un son de piano sur un synthé, les techniques ne sont pas innombrables... On peut, certes, tenter d'imiter un jeu pianistique (haaa... ces subtils passages où tout est dans la résonance des notes comme le faisait Kevin dans l'intro de "Space Dye Vest"). Il est aussi tentant de se servir des fonctions apportées par le synthé : le bend, (comme dans le solo de piano de "Biaxident"), les layers bien épais chers à Derek (ce qui consiste à superposer plusieurs sons sur le clavier) et les splits (qui partagent le clavier en diverses zones, avec autant de sons différents que de zones). Il y a du piano dans tous les albums de DT, Jordan y a ajouté sa patte, ses harmonies (refrain de "Finally Free"), et... ce qui n'est pas du goût de tous les fans, sa virtuosité.


C'est quand le piano arrive lors d'un changement d'ambiance qu'il nous surprend le plus : réécoutez les passages centraux de "Universal Mind", "Blind Faith", ainsi que ceux de "Crossing Over" et "Dreaming In Titanium".

Parmi les autres titres qui font la part belle au piano : "Masada" (et par conséquent "Stillness", ces deux morceaux ne faisant qu'un), "State Of Grace", "Through My Words" et les trois derniers titres de Scenes From A Memory, "Hour Glass", "Interstices", "Vacant", "Disappear", "The Answer Lies Within" ainsi que les albums Secrets Of The Muse, An Evening With John Petrucci And Jordan Rudess, 4NYC et Resonance. On y retrouve ses plus grandes influences : Liszt, Chopin, Prokofiev, Emerson et d'incessants clins d'œil au ragtime. A noter : le dernier morceau de Listen en 1993 était déjà un boogie-woogie !


l'album Listen


Pourquoi si peu d'orgue ?

Vous connaissez l'avis réservé de Jordan au sujet des sons d'orgue Hammond, ils les a pourtant bien inclus dans la rythmique de "Beyond This Life", "Octavarium", les solos de "Blind Faith", "When the Water Breaks", "Crack the Meter", "Freedom Of Speech" et dans les prestations live de "The Killing Hand". Dans une gamme mineure blues, ses solos d'orgue font appel aux techniques habituelles pour qui veut recréer sur synthé le son de cet instrument : notes tenues (quand une touche reste enfoncée pour donner l'harmonie et que l'on fait varier les autres notes), Leslie (fort effet de vibrato issu de haut-parleurs rotatifs), trémolo (répétition très rapide de la même note), glissando descendant (à la fin d'une phrase musicale) et ascendant (a contrario, en début de phrase musicale).


Improvisation

L'improvisation est l'un des points forts de Jordan Rudess, que ce soit seul (4NYC, Resonance, Secrets Of The Muse), en duo (Rudess Morgenstein Project, An Evening With JP And JR ou les sessions avec Richard Lainhart -collaborateur de John Cage et Steve Reich entre autres), et bien sûr en groupe. Cela lui permet aussi bien de réinvestir ses techniques et réutiliser ses sons habituels dans des contextes différents que d'explorer de nouvelles voies.

" Je me suis assis au piano et j'ai laissé venir les notes sans idées préconçues sur ce que j'allais composer ". C'est ainsi que Jordan décrit son album Resonance, sorti en 1999, dont les cinq titres inspirent la quiétude, le renouveau, mais aussi une certaine intensité ("Timeline"). Avec comme seuls vecteurs émotionnels le piano et la harpe.


Deux ans plus tard à New York le 24 septembre, des versions piano de "The Spirit Carries On", "State Of Grace" et "Hourglass" ont côtoyé les morceaux improvisés qui composent 4NYC : harpe toujours plus vraie que nature, piano Steinway, nappes de chœurs et de cordes, séquences du Karma, un Rudess soft mais très inspiré. Soft, dans les sonorités choisies, car ces morceaux comportent des mélodies riches, éloquentes et parfois ambitieuses ("A Step Beyond"). Organisé par Danielle Rudess, le concert a permis de recueillir 12 000 dollars pour l'aide aux victimes des attentats.



Progressions d'accords

C'est toujours déroutant d'entendre un magnifique solo ou une mélodie transportante sur une suite d'accords qui ne brille pas par sa richesse... on se dit que la recherche et le soin n'ont pas été également répartis ! Ceci n'empêche pas Jordan de faire apparaître dans le même morceau une progression inhabituelle (1) et une autre faite d'un seul accord (2).

(1)
Ecoutez dans le LTE 2 l'intro de "Biaxident" :
[Mi - Si m - Mi - Do - Sol - Sib - Fa/la - Ré].
Cette progression de huit accords passe par quatre tonalités principales : mi, do, fa et ré, ce qui veut dire (pour faire simple) que si un musicien veut improviser dessus, il doit moduler et changer quatre fois de gamme...

(2)
... tandis que sur le solo de 5'37 à 5'56, Jordan ne quitte pas la gamme de sol majeur (sauf lorsque Tony Levin joue un fa à la basse).

Et dans la masse de suites d'accords que Jordan visite au fil des morceaux, se dégagent comme chez chaque compositeur des progressions fétiches. On remarquera la parenté entre "Don't Look Down" (à 4'16) : [Fa# m - Fa# dim - Mi - Fa#]
et "Ucan Icon" (à 1'46) : [Ré m - Ré dim - Do - Do m - Ré - Ré dim 7 - Mi - Mi b].
Ces deux progressions ont une amorce identique (un accord mineur suivi du même accord diminué) et l'utilisation toujours dramatique de la succession d'un même accord joué en majeur puis en mineur.




Harmonisations par tierces et sixtes

La sixte est le renversement de la tierce. Traduction svp !!! Jouez un do sur un clavier, puis le mi qui se trouve au-dessus, reproduisez l'expérience avec le mi qui se trouve en dessous... vous aurez deux façons différentes d'agrémenter un do : la tierce et la sixte.

Ce sont les harmonisations que Jordan Rudess utilise le plus souvent, tant dans les passages au piano - afin d'enrichir une mélodie en la doublant autrement qu'à l'octave - que dans les sections synthétiques par le biais de subtiles séquences rythmiques, qui sont toujours du plus grand effet... C'est en écoutant ce genre de rythmiques assez mécaniques qu'on se dit que ce n'est pas pour rien si Jordan revendique l'influence de Kerry Minnear (Gentle Giant). Réécoutez "Experience" et "So Sincere" et tout deviendra plus clair pour vous ...
kerry minnear
Ainsi, chaque album comporte "sa" séquence inoubliable et immédiatement appréciée des fans. On aura donc "Over The Edge" (intro) dans le Rudess Morgenstein Project, "Fatal Tragedy" (4'11) dans Scenes From A Memory, "When The Water Breaks" pour LTE 2 et les deux passages suivants.


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Transcription : "Solitary Shell"

Là encore, une note plus grave sert de pivot (ou "pédale") aux harmonisations en tierces qui sont, elles, dans l'aigu. Tout ceci s'achève sur des belles descentes de gammes en triolets.


Pour clore cet article, voici un riff "résumé" où Jordan alterne une séquence mécanique et un trait mélodique (avec quelques harmonisations à la tierce au passage), le tout à tempo rapide et dans des mesures assez ambitieuses.


Feeding the Wiz
par Fabien Labonde

Afin de rendre plus concrète cette analyse de style, j'ai tenté de réunir en un seul morceau les tics d'écriture de Jordan les plus flagrants. Reproduire ses sons et son toucher ne m'étant pas permis (je n'ai ni ses synthés, ni ses mains) je me suis concentré sur la composition et les ambiances. Vous trouverez donc en téléchargement sur le site de Your Majesty "Feeding The Wiz", un pastiche de cinq minutes à la manière de Jordan.
Quelques détails :
- le solo de piano vient d'un fichier midi nommé "Progfest" anciennement disponible sur le site de Jordan, que j'ai détourné et reprogrammé.
- tendez l'oreille, un sample est issu de l'intro de "Home".
- une bonne partie des breaks de batterie est issue des morceaux du Rudess Morgenstein Project.
- le solo de guitare a été composé et enregistré par Aldric de Montfort officiant dans Aching Beauty (http://www.aching-beauty.com).
- la conclusion reprend des passages complets de l'intro.

A télécharger ici : Feeding The Wiz


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